Claude Chevreton
Recueil de textes en patois
Les fêtadieu
C’tau dzeux, dze repinsau é fêtadieu. Dze seugnau su de calendriers de c’tés zan-nées passants si yétau marqué. Vu
kiétau paritché u mois de juin, yétau facile à trouver. Mais vouat, dz’ai rin trouvé… Dieu ti possible… Vos vos rindi
compte, le Bon Dieu que n’a plus sa fête. Ah yébin comme comme dizau c’te brave vieille dans le tin : « Mais comme
don que vos vauli don que le bon Dieu saye contin ? »
Mais dze repinssieux que dzavaus un vieux ram-na des postes. Atin-momin que dze me su dai’, dzai impogeu c’taffaire
(alé de dizneucent quatorze) et bin seur kié marqué et in grousses lettres. Comme ka i disont qui fâ pas garder c’tes
vieilles zaffaires… mais y’a de momin nozai bien contin de les trouver.
Les fêtadieu suivint Pâques et en dizneucent quatorze Pâques étau le 12 avril. Quarante dzeux après le dzeudi vingt et un
mai : l’Ascension ; le dimintse trente et un mai : le Pentecôte. Le dimintse sept juin : la Sainte Trinité ; et le dzeudi après,
la fêtadieu. Quétau toletin un dzeudi, mais les processions étin los deux dimintses que suivins. I fâlau zi daire sintché, pu
parsonne n’in parle, pu parsonne n’en sait rin. Man-me le tcheuré n’in parle pas. Enfin même si a nin parlau, ma ké sor
comme un pot, dze ni comprindau rin. Ah bien seur astoure u mois de juin izia la fête des mères, la fête des pères, la fête
des tatas… Et la fête à neuneu alors yé quand ? ? ? ?…
Ah ! c’tes fêtadieu, yétau eune affaire ! Au moins huit dzeux avant, et batou meux, nau va-yau le Victor que partau avu
son petiot barau qu’allau cope de rameaux din les teupes, din les suizons. Bien seur azi demindau é propriétaires, que ne
refusint jamais, vu pe s’kiétau faire. Mais y’in fâlau de grands plans baraux pé garni taut les piliers des repousoirs, de
l’arc. Ah l’arc que se plintau juste in narèvin à la Place, intreumi la maison à Dumoulin et la maison à Breton. Iziavau de
grand piliers que fazint bin quatre ou cinq mètres. I fâlau tau yintorteilleu de rameaux. Nau pousau c’tu pouté à tsaque
bau su eune tsire ou eune caisse. Yin na yan que se métau à tseuva dessus à latatsau sa ficelle pé la seume, un nâtre
donnaut les rameaux qu’a preunaut su la tàpire et un troisième que fazaut torner c’tu pouté à mesure qu’a se garnissau.
Mais bien seur i ne fâlau pas débeussieu tant kiétau pas fini. À la seume de l’arc, iziavau de carrés de croix, de ronds ;
mais comme yétau garnis avu de pâpi, yétau un travail de feunes. Le samedi fâlau planter le repousoir intremi le pouis à
Dumoulan et la maison à Delomier.
Yin navau un nâtre lâmou à la seume de la Place intremi la maison à Rolland et la maison de la Balindrade àpeu la
troisième, in filan su Lartrie, ubau du dzardan à Rolland.
Bien seur i fâlau de monde pé monter c’té repousoirs, tau zi garni. Yaucupau taut le monde du côté d’un-nâ, dipu les
Remparts tin qu’à la seume du Bois-Gauthey, et tote Lartrie. Los dzounes travaillint, les vieux un pou mouan, mais i
payint leu litres, enfin tau le monde payaut bin son litre, i fait que le soir iziavau eune fatigue un peu générale. Si vau va-yi ce que dzou daire…. Mais le Bon Dieu étau bien contin. Ah c’tu Bon Dieu… Mais si alétau contin de veni faire sa
viran à La Place. Ah ! La Place… ?
Ces jours, je repensais à la Fête-Dieu. Je regardais sur les calendriers de ces années passées si elle était marquée. Vu que
c’était par là au mois de juin, c’était facile à trouver. Mais non, je n’ai rien trouvé… C’est-y Dieu possible… Vous vous
rendez compte, le bon Dieu qui n’a plus sa fête. Ah, c’est bien comme disait cette brave vieille dans le temps : « Mais
comment donc voulez-vous que le bon Dieu soit content ? »
Mais je repensais que j’avais un vieil almanach des postes. Attends voir, que je me suis dit, j’ai attrapé cette affaire (il est de
1914) et bien sûr qu’elle est marquée, et en grosses lettres. Comme quoi on dit qu’il ne faut pas garder ces vieilles affaires…
mais il y a des moments où on est bien content de les trouver.
Les Fête-Dieu suivaient Pâques et en 1914 Pâques était le 12 avril. Quarante jours après, le jeudi 21 mai : l’Ascension ; le
dimanche 31 mai : la Pentecôte. Le dimanche 7 juin : la Sainte Trinité ; et le jeudi d’après, la Fête-Dieu. C’était tout le
temps un jeudi, mais les processions étaient les deux dimanches qui suivaient. Il fallait le dire, ça ! Plus personne n’en
parle, plus personne n’en sait rien. Même le curé n’en parle pas. Enfin même s’il en parlait, moi qui suis sourd comme un
pot, je ne comprendrais rien. Ah bien sûr maintenant au mois de juin il y a la fête des mères, la fête des pères, la fête des
tatas… Et la fête à neuneu alors c’est quand ? ? ?…
Ah ! ces Fête-Dieu, c’était une affaire ! Au moins huit jours avant, et peut-être plus, on voyait le Victor qui partait avec son
petit barau, qui allait couper des rameaux dans les touffes, dans les haies. Bien sûr il demandait aux propriétaires, qui ne
refusaient jamais, vu pour quoi c’était. Mais il en fallait de grands pleins baraux pour garnir tous les piliers des reposoirs, de
l’arc. Ah, l’arc qui se plantait juste en arrivant à la Place, entre la maison à Dumoulin et la maison à Breton. Il y avait de
grands piliers qui faisaient bien quatre ou cinq mètres. Il fallait entortiller des rameaux tout autour. On posait ce pilier à
chaque bout sur une chaise ou une caisse. Il y en avait un qui se mettait à cheval dessus et il attachait sa ficelle au sommet,
un autre donnait les rameaux qu’il prenait sur le tas et un troisième faisait tourner ce poteau à mesure qu’il se garnissait.
Mais bien sûr, il ne fallait pas s’arrêter tant que ce n’était pas fini. Au sommet de l’arc, il y avait des carrés , des croix et des
ronds ; mais comme ils étaient garnis avec du papier, c’était un travail de femmes. Le samedi, il fallait planter le reposoir
entre le puits à Dumoulan et la maison à Delomier.
Il y en avait un autre là-haut au sommet de la Place entre la maison à Rolland et la maison de la Balindrade, et puis le
troisième, en filant sur la Raterie, au bout du jardin à Rolland.
Bien sûr il fallait du monde pour monter ces reposoirs, tous garnis. Ça occupait tout le monde du côté d’en haut, depuis les
Remparts jusqu’au Bois-Gauthey, et toute la Raterie. Les jeunes travaillaient, les vieux un peu moins, mais ils payaient les
litres, enfin tout le monde payait bien son litre, ce qui fait que le soir il y avait une fatigue un peu générale. Si vous voyez ce
que je veux dire… Mais le bon Dieu était bien content. Ah ce bon Dieu… Mais s’il était content de venir faire sa virée à la
Place. Ah ! La Place… ?
Ha ! La Place… vu imprenable… y’est bin pramau qu’elle n’a jamais été prise… et ni séra jamais, inrimé… Seugni don
d’un bas «Dun» (708 m). Yéti pas dzoli sintché… In virant du couté du maténâ le saint-Rigaud (1012 m)… Ha si a se
dreusse !… Tinsépou pu louan «Lau Zétsarmias» (720 m). Mais si nau zé bien intaurés. Inb’tchan pu louan, la seume de
la Faverie. Après la seume du Bois-Gauthey et de la Roche à Faux. Peu le dari nau va tétayeu batou le Crêt-Loup…
lâmou à la seume d’Ecotse… De l’atre couté laus monts de la Madeleine (un pou pardu din le brouillard). Après pé fini
yzia le talus de Maizailleu… Y’est dari c’tu talus que se fabrique la travarse, les zeuraisses… Y’est étau dari c’tu talus
que se coutse le solé… (apeu kikafait eune fa délé dari).
Mais si nau zan revenint à note procession ! La procession partaut de l’église, bien vrai, le dais attindaut lâmou à la
seume de la grande nef, le tcheuré deubaut su sa tsire, laus tsintres étin as’tés din leu banc, … les tsintouses… alli don
faire couisieu kéke feunes que sont inssan… Tau parincoup le tcheuré se levau : Cré millars… y’étau le momin. Laus
ciardzes s’aleumint, les lampes étau, i se métaut à tsinter tinkipauyau ; le tcheuré infélau sau son dais avu son ostensoir.
Quatre grands gaillards impognint c’taffaire tsakin pé eune âle, y’an à tsaque couan et y’étaut modé. Arrivé deuyors
(Dieu si i tsintaut) i travarsaut la place, la route, y’allau tot dré vé le repousoir contre le grand portail de la cor de la
tcheure. Le tcheuré u milleu, les enfants de chœur de tsaque couté, les gamines des écoles peu leu dari, avu leu pétète
robe blantse, leu pétète couronne su la tête, leu pétète payasse de fleurs pindu à leu cau. Le tcheuré balançaut sa
bénédiction, les gamines balancint leu fleurs in fazant de grandes zévaulâtrants, laus gamants nin recevint su leu tête, le
tcheuré étau. Y’an na que dizint qu’elles ni fazint pas à laisskeprés, (pardi non, i fazaut trop dzauli) ?
Eune fa sa bénédiction invoyeu le tcheuré dizaut « Dieu soit béni » et taut le monde répétaut « Dieu soit béni » et i
fallaut béni chépakatan, tote eune litanie. I dizin man-me « béni soit le triste roi. » Ma kétau tot gaman dzi comprenaut
comme s’lé. Y’a bin de maumin que mes sœurs me dizint « mais non mais y’est pas le triste roi »… Allons… allons vayin
dze su taudeman-me pas un ptét breudaignon, dze comprans bin c’qui dizont. Et Dieu sait si dze le bénissaut c’tu triste
roi. Et i m’étaunaut pas qu’a saya triste, pasque de maumin nau zalau u tseuman de croix, et de va c’tu pour roi…
comme a l’étaut gueunaiyeu… comme a l’étaut dordaiyeu… comme a l’étaut maleutsieu, et meuri comme à la meuri…
héla mon Dieu, si a pauyaut ête triste… Pas étaunant qu’a fazau un pou la bobe…
U bau de kèke tin, batou un an, batou deux, c’tu triste roi m’a paru un pou bizarre. Dze me su mis à feuragneu din
laus livres de meusse kiavau dins laux bans à l’église (de momin dzi lizaus de peutiotes histoires kétin bin rigolotes) et
tauparincoup dze su tombé su c’tu « Dieu soit béni » et béni soit chépakatan. Et dzai lizu « béni soit le Christ roi » ! Abin
m… Abin… y’est eune belle…Abin m… ? alors c’tu pour triste roi kika vé deveni. Y’est le Christ… Bin bien seur, y se
ressinble inkau bin. Bin ma foi y zavin ka i dère pu vite… Oh du mouan comme di l’âtre, l’essentiel yétau de participer.
Mais si nau zan revenint à c’te procession…
Eune fa la bénédiction donnée, les zinvaucations récitées, le tcheuré infélaut sau son dais. Bien seu vau me daira, a
l’étau à lâvré,… mais bintout, mais y’a de momin i fazau boudeur, et a transpiraut de bon coup c’tu pour vieux. Bin ma
foi y’étaut son travail, apeu i fâlaut bin qu’à l’afeune étau son paradis… inrimé ?
Après sintché taut lau monde infailaut en montant la ramborgne…
Et en voiture pour la Place !
Ah ! La Place… vue imprenable… c’est bien pour ça qu’elle n’a jamais été prise… et elle ne le sera jamais, bien sûr.
Regardez donc en bas « Dun » (708m). C’est pas joli tout ça… En se tournant du côté du matinal, le Saint-Rigaud
(1012m)… Ah ! s’il se dresse ! Un peu plus loin, « les Echarmeaux » (720m). Mais si nous sommes bien entourés ! Un peu
plus loin, la cime de la Faverie. Après la cime du Bois-Gauthey et de la Roche à Faux. Par derrière on voit dépasser peut-être le Crêt-Loup… là-haut à la cime d’Ecoche… De l’autre côté les monts de la Madeleine (un peu perdus dans le
brouillard). Pour finir il y a le talus de Maizilly… C’est derrière ce talus que se fabriquent la traverse, les coups de vent…
C’est aussi derrière ce talus que se couche le soleil… (et puis qu’est-ce qu’il fait une fois qu’il est derrière ?)
Mais si nous en revenions à notre procession ! La procession partait de l’église, bien vrai, le dais attendait tout en haut
de la grande nef, le curé boudait sur sa chaise, les chantres étaient assis dans leurs bancs, les chanteuses… allez donc faire
taire quelques femmes qui sont ensemble… Tout d’un coup le curé se levait. Sacré milliard… c’était le moment ! Les cierges
s’allumaient, les lampes aussi, on se mettait à chanter tant qu’on pouvait ; le curé allait sous son dais avec son ostensoir.
Quatre grands gaillards empoignaient cette affaire chacun par une aile, un à chaque coin et c’était parti. Arrivés dehors
(Dieu sait si on chantait) on traversait la place, la route, on allait tout droit vers le reposoir contre le grand portail de la cour
du presbytère. Le curé au milieu, les enfants de chœur de chaque côté, les gamines des écoles par derrière, avec leur petite
robe blanche, leur petite couronne sur la tête, leur petite corbeille de fleurs pendue au cou. Le curé balançait sa bénédiction,
les gamines balançaient leurs fleurs en faisant de grand gestes, les gamins en recevaient sur la tête, le curé aussi. Y en a qui
disaient qu’elles ne le faisaient pas exprès (pardi non, elles trouvaient ça trop joli) !
Une fois sa bénédiction envoyée le curé disait « Dieu soit béni » et tout le monde répétait « Dieu soit béni » et il fallait
bénir je ne sais quoi tant, toute une litanie. On disait même « béni soit le triste roi ». Moi qui était tout gamin je comprenais
comme ça. Parfois mes sœurs me disaient « mais non, mais c’est pas le triste roi »… Allons… allons voyons je ne suis tout
de même pas bredin, je comprends bien ce qu’ils disent. Et Dieu sait si je le bénissais ce pauvre triste roi. Et ça ne
m’étonnait pas qu’il soit triste, parce que parfois on allait au chemin de croix, et de voir ce pauvre roi… comme il était
secoué… comme il était battu… comme il était malmené, et mort comme il est mort… hélas mon dieu, s’il pouvait être
triste… Pas étonnant s’il faisait un peu la bobe…
Au bout de quelque temps, peut-être un an, peut-être deux, ce triste roi m’a paru une peu bizarre. Je me suis mis à
fouiller dans les livres de messe qui étaient dans les bancs à l’église (parfois j’y lisais des petites histoires qui étaient bien
rigolotes) et tout d’un coup je suis tombé sur ce « Dieu soit béni » et béni soit tout le monde. Et j’ai lu « béni soit le Christ
roi ». Ah ben m… Ah ben ! elle est bien bonne... Ah ben m… ?... alors ce pauvre triste roi qu’est-ce qu’il va devenir. C’est le
Christ… Bien sûr, ça se ressemble encore bien. Ma foi, ils n’avaient qu’à le dire plus vite… Oh du moins comme dit l’autre,
l’essentiel c’était de participer.
Mais si nous en revenions à cette procession…
Une fois la bénédiction donnée, les invocations récitées, le curé partait sous son dais. Bien sûr vous me direz, il était à
l’abri… mais pourtant, il y avait des moments où il faisait orageux, et il transpirait un bon coup ce pauvre vieux. Ma foi,
c’était son travail, et puis il fallait bien qu’il gagne aussi son paradis… n’est-ce pas ?
Après ça tout le monde repartait en montant la ramborgne…
Et en voiture pour La Place…
À la Place, in dipu du grand matan i falau monter les repousoirs… l’arc… un boulot… mais y’avau de monde, à peu à
c’teures, yétaut bin kazu taut près. Bien seur, y’avau tot le tin un boqueu à dzouanter, un frâ à bali-yeu, eune guirelande
à racreutsieu. Mais tauparincou nau zintindaut : « Intinssion y zaraivont ».
Hélà mon Dieu nau zéraudi un cou de pieu din un mazauti. Cré bon goui, taut le monde se métaut à cori, ché pas où,
mais i coraut. Les feunes quitint leu d’vinti, les hommes métint leu veste et leu tsapia que sortin de chépaou, mais y’in
navau pé tot le monde. Eune fa bien avreussieu, taut le monde se dzouantaut su le bord de la route, parsonne ne pipaut
le mot. Le grou à barnau épeu-yissaut u baut de la Place, à dordeillot avu sa grande bagnière (enfin le grou à barnau,
appelé aujourd’hui « oncle Bernard ». Mais c’tu pour homme, astoure y’a pu besouan de l’appélé, ya kazu soixante-dix
ans ka l’est mort). La pocession arèvaut. Yinfélaut en montant la Place tant que le dais arèvaut en face du repousoir. Le
tcheuré infélaut vé le repousoir, laus tsintres tsintint la « tantoumergo ». Taut le monde métaut un dzenau à bas, manme
les éstrafélés, le tcheuré balançaut sa bénédiction, les gamines balancint des fleurs, les enfants de chœur balancint leu
zencensoirs. Après y falau béni chépakatan, à peu, bien seur, le triste roi. Après taut le monde infélaut en montant la
route vé le repousoir de la Balindrade et rebénédiction. Après direction du couté de Lartrie, repousoir u baut du dzardan
à Rolland et rerebénédiction. Après nau preunaut le tseuman que passaut devant le « casino » peu rattraper la route du
bor. An kiavau le repousoir, apu itché rererebénédiction. A bon goui izi tsau-yin pas… Quatre bénédictions à la Place,
deux u bor. A ma foi, pindin kiétau après, yétau tau près, y’avaut de monde, apeu eune bénédiction n’a jamais fait de
mâ à parsonne. I m’ont dai kia azu de momin que les premiers de la pocession ratrapint laus daris u bau de la Place. La
pocession teunau tot le tor du quartier. Non de goui y’avau de monde à c’tu momin. Et i falu redescindre u bor. Tot le
monde infélaut in déssindin la route. Et ça tsintot cré millar. Les tsintres fazint de breuyans épouvantables, les tsintouzes
de kignans abominables. A stutché qu’heurlaut le meu. Mais de tote façon y’étau deyor, y’avau bin place.
Les tsintouses avint étau leur bagnière. Elles portint étau un espèce de travaillon et dessus i ziavaut eune statue de la
sainte Vierge, et i tsarayint sintché tau du long. Les enfants de chœur, laus pu grands, portint étau eune petiote statue,
mais kikié tau don, dze la reva partin, mais peu daire qui kié taut… y’étau pas… dze vai batou daire eune bêtise ? mais
y’étaut pas… le petit Jésus de Prague ??? Mais si y’étaut pas ça, y’étaut tauzeu kékin de la famille.
Tau pé un cou nau zintindaut bondonner, mais qui que fait don sintché ? Ah y’étaut les gamines des écoles. Elles zétint u
milleu de la procession avu leur institutrice, mais y n’arêtaut pas eune minute, de Notre Père, de Salut Marie, de
cantiques… Y ne débeussaut jamais. Mais y’étaut pas fort. Pé y’écoter i fallau être à couté. Bien seur si les gamines de
l’école laïque se présintint i falaut bin les prindre. Mais elles n’étint pas bien vues. I paraît qu’elles sintint un pou le
diable… enfin y paraît… peut-être…Quand le Bon Dieu étaut su tare, a naus dizaut : « Laissis don c’taut gamans
vircauter utor de ma, im’aigaillont avu leus zékitsans ». A peu naus astoure naus dizont qui sintont un pou…
Y naus fazont de conte que n’ont pouan d’ème…
Ça y est vous saurez tout sur les fêtes à Dieu. Mais vous n’y verrez jamais…
Je vous le dis « tout fout l’camp »…
À la Place, depuis tôt le matin il fallait monter les reposoirs… l’arc… un boulot… mais y’avait du monde, et quand l’heure
arrivait, c’était bien presque prêt. Bien sûr, y’avait tout le temps un bouquet à arranger, une saleté à balayer, une guirlande
à raccrocher. Mais tout d’un coup on entendait : « Attention ils arrivent ! ».
Hé là mon dieu, on aurait dit un coup de pied dans une fourmilière. Cré bon dieu, tout le monde se mettait à courir, je ne
sais pas où, mais ils couraient. Les femmes quittaient leur tablier, les hommes mettaient leur veste et leur chapeau qui
sortait de je ne sais où, mais y’en avait pour tout le monde. Une fois bien habillé, tout le monde se rangeait sur le bord de la
route, personne ne pipait mot. Le grou à barnau apparaissait au bout de la Place, marchant de travers avec sa grande
bannière (enfin, le grou à barnau, on l’appellerait aujourd’hui « oncle Bernard ». Mais ce pauvre homme, à cette heure il
n’y a plus besoin de l’appeler, il y a presque soixante-dix ans qu’il est mort.) La procession arrivait. Tout droit en montant la
Place jusqu’à ce que le dais arrive en face du reposoir. Le curé avançait vers le reposoir, les chantres chantaient le « Tantum
ergo ». Tout le monde mettait un genou à terre, même les estropiés, le curé balançait sa bénédiction, les gamines
balançaient des fleurs, les enfants de chœur balançaient les encensoirs. Après il fallait bénir tout le monde, et puis, bien sûr,
le triste roi.
Après tout le monde enfilait en montant la route vers le reposoir de la Ballandras et rebénédiction. Après direction du côté de
la Raterie, reposoir au bout du jardin à Rolland, et rerebénédiction. Après, on prenait le chemin qui passait devant le
« Casino » pour rattraper la route du bourg. Et quand on repassait devant le reposoir, alors là rererebénédiction. Ah bon
dieu ils ne les économisaient pas… Quatre bénédictions à la Place, deux au bourg. Ma foi, pendant qu’on y était, tout était
prêt, il y avait du monde, et puis une bénédiction n’a jamais fait de mal à personne. On m’a dit que certaines fois les
premiers de la procession rattrapaient les derniers au bout de la Place. La procession tenait tout le tour du quartier. Nom de
dieu, y’en avait du monde en ce temps-là. Et il fallait redescendre au bourg. Tout le monde enfilait la descente.
Et ça chantait, cré milliard ! Les chantres faisaient un bruit épouvantable, les chanteuses un boucan abominable. À celui
qui hurlerait le mieux. De toute façon c’était dehors, y’avait bien la place.
Les chanteuses avaient leur bannière. Elles portaient aussi une espèce de brancard et dessus, une statue de la sainte Vierge,
et elles la transportaient tout le long de la procession. Les enfants de chœur, les plus grands, portaient aussi une petite
statue, mais qu’est-ce que c’était donc, je la revois pourtant, mais pour dire ce que c’était… Est-ce que ce n’était pas… je
vais peut-être dire une bêtise ? mais est-ce que ce n’était pas… le petit Jésus de Prague ? Ah si ce n’était pas ça, c’était
toujours quelqu’un de la famille !
Tout d’un coup on entendait bourdonner, mais qui est-ce qui fait ce bruit ? Ah, c’étaient les gamines des écoles. Elles étaient
au milieu de la procession avec leur institutrice, mais elles n’arrêtaient pas une minute, et des Notre Père, et des Je vous
salue Marie, et des cantiques. Elles ne débauchaient jamais ! Mais ce n’était pas fort, pour les écouter, il fallait être à côté.
Bien sûr si les gamines de l’école laïque se présentaient, il fallait bien les prendre. Mais elles n’étaient pas bien vues. Il
paraît qu’elles sentaient un peu le diable… enfin il paraît… peut-être… Quand le Bon Dieu était sur terre, il nous disait :
« Laissez donc ces gamins tourner autour de moi, ils m’amusent avec leurs rires. » Et nous qui disions qu’elles sentaient un
peu…
On nous inventait des histoires sans queue ni tête…
Ça y est vous saurez tout sur les fêtes à Dieu. Mais vous n’y verrez jamais…
Je vous le dis « tout fout l’camp »…
FIN