Claude Chevreton
Recueil de textes en patois
Les clotses se sont couizieu
Les cloches se sont tues
Y’a à pou près eune soixantaine d’années, à nauté zadzes nausez pas à quéque dzeux près, Coublanc étau dédza
Coublanc, bien seur. Y’avau le Bor, La Place - les vieux dizint Lartrie : lâmou à Lartrie - Cadolon, les R’goules - et Dieu
sait si y’a de maumin la dieumintse soir y brausseillau u pont des R’goules !
U Bor, y’avau l’église… la mairie… et tautespèce… le Tcheuré, le marguailleu que sounaut les clotses. Et i sounaut, Bon
Djui… la meusse tau lau matan… l’angélus eune duquatre coup p’dzeu… I sounaut lau glas, les morts, les naissances, les
noces, les baptêmes, les communions, les enterrements, les mariadzes, les funérailles et tautespèces… et i sounaut… i ne
débeussaut quazu jamais.
Tau parin coup… crac ! y’a été fini. Les clotses se sont couizieu et i ne sounau pu rin… rin de rin, et absolument rin, sauf
les heures. Le marguailleu avau batou pris une petéte ateupe… ali don sava ? et y’avau parsonne pé le rimplassieu.
Y’a deuré eune seman-ne… tchanze dzeux… batou trois semannes.
La dieumintse d’après y’avau la meusse comme d’habitude et y’arrêvau de monde à grands plans tseumans, din nâ, din
bas, de partau et tau le monde allau à la meusse, à part lau taupétés et quéques vieux que ne pauyint pu arquer. Y’in
navau man-ne quéquezins de Cadolon.
I fâ daire que lau Cadolonis, que s’incrayint incau bien, aimint meu aller à la meusse à Écotse, passeque à Écotse y’avau
quéques grous mon-sieux que s’gouflint bien et i fazau pu ritse. À Coublanc, y’avau tautintas de petiots paysans (dzin
nétau) que descindint dé lâmou d’in-nâ (de Lartrie et d’anco pu y’â) tot la seman-ne : avu leu grapine i piautsaunint leu
poure gravelle pé aratsieu leu cht’it luzarna. Pindin c’tu tin les feunes fazin trassiauter leu métieu pé titre un maussia de
lustrine ou de crêpe georgette. Vau pinsi si i fazau ritse sintché. Mais i zalin à la meusse ; et à la quête à stuché que levau
le bras le pu yâ pé faire tomber sa petiote pièce de deux sous din le plat pé qui fasse une grousse brauseillant.
Donc c’te dieumintse, noton tcheuré monte en chaire et a nau fait pra-yeu pé les vivants, pé les morts, pé tau les zâtres. A
nau zannonce quéques bricolles. Après a se redreusse tau blanc. Attin mommin, quitikavé nau daire ? A ne parlau pas
fort, mais pincoup a s’est bin aigayeu . A nauza dai : “ D’zé vu le Bon Dieu. A né pas contin du tau dipu qui ne soune
plus. Si i deure, i ne deureura pas. A vé se mettre en colère et i vé feumer. Alé prêt à invauyeu tremblements de terre,
pestes, raz de marée, volcans, inondations, cancers, sauterelles, vreutchâs, sécheresse, orages, scorpions, grêle, fer, feu,
fonte et acier, et batou d’âtres affaires enco plus taribles.
La meusse finie, tau le monde est bien contin, l’église se vide, les hommes rimplissont lau bistrots, les feunes dzacassont
su la place, les gamans coront p’le Bor. Parsonne n’a l’ar de sin faire. I fâ daire que c’tu père tcheuré étau dédza pas tau
dzoune. Alors vau savi bin quand nau zarève à un adze, y’a de momins que nau par un pou… que nau zé plus… que nau
raconte… enfin vau vayi bin ce que dzou daire et c’tu brave homme din le momin avau bin quazu soixante ans… euh…
voué…enfin !
Su le coup de mide, le Bor comminsau à être bin calme, y’a eune dizan-ne de dzounes (dzin nétau) que se r’trouvont su
la place, devant l’église. Y’in na-yan, qu’êtau batou un p’tchan torminté qu’a dé ézâtres : “ Vau zavi intindu le tcheuré ?
Vau cra-yi que nau vont se laissieu bouffer p’les saterelles, se laissieu détrâder pé tautespèces ? Y fâ faire quéque tsouze.
” - “ Bin oui, mais quoi ? ”
- “ Y’est quazu mide : no vont souner l’Angélus. I soune plus ?… on va bin voir si i soune plus, si y a parsonne capable
de souner. On monte au clocher, tous, et on va voir ce qu’on va voir. D’accord ? ”
Avait-on le choix ? Il fallait bien conjurer le mauvais sort.
Comme un seul homme, nau sont teu montés au clocher. Arrévés lâmou, on s’est regardé. Sounera… sounera pas ?
Quelqu’un a dit : “ I fâ attindre, mide vé souner, faut pas prendre de risque. ” Enfin, midi a souné, a répété. Puis un
grand silence, parsonne n’ouzau piper le mot. Nau zérau entendu vouler le Saint-Esprit… Enfin une voix a dit - une voix
venue d’où ? On ne l’a jamais su - : “ I faut y’aller. ”
Ah ! millârd… nau se sont teu pindu après c’tes cordes. Nau zérau dé eune beuran de moutses que sâton su eune bouse.
Et y’a souné, pé souné y’a souné. Vau pinsi, eune dizan-ne de grands gaillards, habitués à travailleu, de vrais rats
musclés ! In ce tin là, i zavin à pan-ne deux dzeux qui fâlau dédza bricoler pé afner sa sope… Y’étau pas comme astoure,
astoure les dzounes vont in classe, i fait de grands pessiaux taut’éfflanqués et y’a l’ar coustau comme de grands
dzarnons de treufes.
Et y’a souné… Y’a bin rattrapé le retard et dze su prêt à parieu cent mille francs contre un sou que jamais de la vie, au
grand jamais, et même après, i ne reusounera de c’te sorte : y’est impossible.
Il y a à peu près une soixantaine d’années, à nos âges on n’est pas à deux près, Coublanc était déjà Coublanc, bien sûr.
Y’avait le Bourg, La Place - les vieux disaient La Raterie : là-haut à La Raterie - Cadolon, les Rigoles - et Dieu sait si parfois
le dimanche soir ça faisait du bruit au pont des Rigoles !
Au Bourg, il y avait l’église… la mairie… et tout ça… le Curé, le marguillier qui sonnait les cloches. Et il sonnait, Bon
Dieu… la messe tous les matins… l’angélus trois fois par jour… Il sonnait le glas, les morts, les naissances, les noces, les
baptêmes, les communions, les enterrements, les mariages, les funérailles et tout ça…et il sonnait… il ne s’arrêtait
quasiment jamais.
Tout d’un coup.. crac ! ç’a été fini. Les cloches se sont tues et il ne sonnait plus rien… rien de rien, et absolument rien, sauf
les heures. Le marguillier avait peut-être pris une petite attaque… allez donc savoir ? et il n’y avait personne pour le
remplacer.
Ca a duré une semaine… puis deux… peut-être trois semaines.
Le dimanche d’après il y avait la messe comme d’habitude et il arrivait du monde à grands pleins chemins, d’en-haut, d’en-bas, de partout et tout le monde allait à la messe, à part les tout-petits
et quelques vieux qui ne pouvaient plus marcher. Il y
en avaient même quelques-uns de Cadolon.
Il faut dire que les Cadolonis, qui s’y croyaient bien, aimaient mieux aller à la messe à Ecoche, parce qu’à Ecoche il y
avaient quelques gros monsieurs qui se gonflaient bien et ils faisaient plus riches. A Coublanc, il y avait tout un tas de petits
paysans (j’en étais) qui descendaient de là-haut (de La Raterie et d’encore plus loin) toute la semaine : avec leur grapine ils
travaillaient leur pauvre terre pour arracher leur chiendent. Pendant ce temps les femmes faisaient sauter leur métier pour
tisser un morceau de lustrine ou de crêpe georgette. Vous pensez s’ils faisaient riches ceux-là. Mais ils allaient à la messe ;
et à la quête, à celui qui levait le bras le plus haut pour faire tomber sa petite pièce de deux sous dans le plat pour qu’elle
fasse beaucoup de bruit.
Donc ce dimanche, notre curé monte en chaire et il nous fait prier pour les vivants, pour les morts, pour tous les autres. Il
nous annonce quelques bricoles. Après il se redresse tout blanc. Attends un moment, qu’est-ce qu’il va nous dire ? Il ne
parlait pas fort, mais pour une fois il s’est bien énervé. Il nous a dit : « J’ai vu le Bon Dieu. Il n’est pas content du tout
depuis que ça ne sonne plus. Si ça dure, il ne durera pas. Il va se mettre en colère et il va fumer. Il est prêt à envoyer
tremblements de terre, pestes, raz de marée, vocans, inondations, cancers, sauterelles, vers, sécheresse, orages, scorpions,
grêle, fer, feu, fonte et acier, et peut-être d’autres affaires encore plus terribles.
La messe finie, tout le monde est bien content, l’église se vide, les hommes remplissent les bistrots, les femmes jacassent sur
la place, les gamins courent dans le bourg. Personne n’a l’air de s’en faire. Il faut dire que ce père curé était déjà pas tout
jeune. Alors vous savez bien quand on arrive à un âge, y’a des moments qu’on perd un peu… qu’on est plus… qu’on
raconte… enfin vous voyez bien ce que je veux dire et ce brave homme à ce moment avait bien quasi soixante ans… euh…
voui… enfin !
Sur le coup de midi, le Bourg commençait à être bien calme, il y a une dizaine de jeunes (j’en étais) qui se retrouvent sur la
place, devant l’église. Y’en avaient qui étaient peut-être un peu tourmentés, qui dirent aux autres : « Vous avez entendu le
curé ? Vous croyez qu’on va se laisser bouffer par les sauterelles, se laisser détruire par ce genre de choses ?
Il faut faire quelque chose.
- Ben oui, mais quoi ?
- Il est quasi midi : on va sonner l’Angelus. Il ne sonne plus ?… On va bien voir s’il ne sonne plus, s’il n’y a personne
capable de sonner. On monte au clocher, tous, et on va voir ce qu’on va voir. D’accord ? »
Avait-on le choix ? Il fallait bien conjurer le mauvaix sort.
Comme un seul homme, on est tous montés au clocher. Arrivés là-haut, on s’est regardés. Sonnera…sonnera pas ?
Quelqu’un a dit : « Il faut attendre, midi va sonner, faut pas prendre de risque. » Enfin, midi a sonné, a répété. Puis un
grand silence, personne n’osait piper mot. On aurait entendu voler le Saint-Esprit… Enfin une voix a dit - une voix venue
d’où ? On ne l’a jamais su - « Il faut y aller. »
Ah ! milliard… On s’est pendus après ces cordes. On aurait dit une bande de mouches qui saute sur une bouse. Et elle a
sonné, pour sonner elle a sonné. Vous pensez, une dizaine de grands gaillards, habitués à travailler, de vrais rats musclés !
En ce temps-là, ils avaient à peine deux ans qu’il fallait déjà bricoler pour gagner sa soupe… C’était pas comme
maintenant, maintenant les jeunes vont en classe, ça donne de grands échalas tout éfflanqués et ils ont l’air costauds comme
de grands germes de patates.
Et on a sonné… On a bien rattrapé le retard et je suis prêt à parier cent mille francs contre un sou que jamais de la vie, au
grand jamais, et même après, on ne re-sonnera de cette façon : c’est impossible.
Ma mère a déclaré que ce n’était peut-être pas sa bourrique qui l’avait fait mourir, mais plutôt la maladie qui lui était tombé
dessus. Et j’ai su plus tard que ce brave homme était mort d’un cancer de la langue. Mon Dieu est-ce possible ? Ce pauvre
vieux, enfin, pauvre vieux, si on veut, a peut-être bien souffert pour mourir, sans descendance. C’était pas la bonne solution,
mais y’en avait pas d’autre. Il a donc laissé sa bourrique, et il a été délivré.
Alors aujourd’hui vous me direz, toutes nos bourriques à travers la campagne, ces bourriques qui se croient bien dégourdies,
elles faisaient mourir leurs hommes, sans descendance, à cinquante ans ? Eh bien je crois qu’il y aurait drôlement plus de
veuves et bien moins de monde sur terre. Pas vrai ?
J’ai été voir au cimetière si je trouvais la tombe de cette bourrique. Eh bien je ne l’ai pas trouvée.
C’est-y pas qu’elle serait partie, je ne sais où, avec tout le fourbi… ce serait bien le diable… mais on n’en sait rien… Affaire
à suivre ?
Les clotses se sont couizieu (suite et fin)
Résumé de l’épisode précédent
La marguillier de Coublanc, pour on ne sait quelle raison, a cessé de sonner les cloches pour l’Angélus et les autres sonneries. Seules
fonctionnent les heures, grâce à un mécanisme. Le curé, au bout de quelques semaines, menace la communauté paroissiale de toutes sortes
de plaies d’Égypte si aucun sonneur ne se propose. Au sortir de la messe, des jeunes gens décident de monter dans le clocher pour sonner les
cloches : ils le font de bon cœur.
Dze me va taudzeu lâmou u clotsieu pindu après ctes clotses. Dzin rigolle mon plein ventre quand dzi repinse.
Mon Dieu, mon Dieu… Y’est pas possible… Qui n’a pas vu sintché n’a rien vu… Et ça souneau bon djui, i paraît que le
clotsieu en évanlau, ça dordillaut d’un couté à l’atre. Pas étonnant quia azu des gautires après, et y’a fâlu i tsouzieu
chépas camban de coups. Y’a un mois ou deux i zétin encore après. Mais c’tu coup i zia camban bien r’mieuré.
Vau me crara si vau volis, mais y’a deux ou trois carreaux de la fenêtre de la tsambre à la Mathus qu’ont voulé en éclats.
I zont dai quiétau les ultras sons (dze les zé pas vus) que sortins p’laus larmis du clotsieu, tautinberlificautés lau zan din
lau zatre, arrivés deu-yort, un petiot ar de bise les paussaut d’un-nâ, les fazau se redreussieus d’un seul coup et y’est
pramau qui fazau peter c’taux carreaux…
Et y’a p’té de c’taux coups milliards…
Y’a souné un coup l’angélus à mide. Après nau zétin pas bien hardis pé recommincieu, alors les clotses se sont couizieu
encore quèque tin. Bon mais alors après qui quia fait ? … Apparemment pas grand tsouze…
Les tremblements de terre ?
Ah ! c’te poure tarre… elle est bin assez gueunaiyeu p’les hommes, assez fouidzieu p’les bombes que foutont tau tchu su
tête… Qu’elle tsaume don tranquille, c’te poure vieille.
Les saterelles ?
Nau poubins nin nava pou… Naus zinva taupetiotement eune duquatre tau le bontin.
Y’est comme laus graillons… Atreufa tau l’été nau zintindot tsanter sintché p’lau pré… I fazau un pautin d’oyasses.
Astoure nau zin va pu… nau zin n’intins pu… Où quié passieu ?…
Les volcans, le fer, le feu ?
Dipu que le monde est monde nau zabin vu feumer à tsà maumins d’un couté at d’atre. Mais quand nauza ébarmé les
suizons i fâ bin bruler les salaupris… Apeulizi volcan si vaux voli, mais i peute tauzeu pas bien yâ…
Sécheresse, inondations ?
Mais y’est comme dit l’âtre « Y’a jamais pas pleu, et y’a jamais pas fait bon »….
Pindin quèques dzeux, y’est le grand bon tin. Mais tauparin coup, le soir y’a un grou râzon du couté d’un bas, en se
coutsan le soleil emborbe, le lindeman le tin s’abotse, i bofe un pou, i van eune bonne euraisse, eune bonne chiaquant
après i bode, i mauillasse, finalement la bise reprend et i s’égrâdze et y’est reparti…
Les moutses bleuses ont continué à veuzoner… Les paulailles à corri après lau vreutchàs — enfin elles n’ont pas
besouant de bien corri p’les attraper. Les mouses canquelaines ont continué à se promener su le dari des bêtes.
Y’a azu de pommes vreutàlées… d’âtres pas…
Alors vau me daira : « Nau zontis bien fait de souner ». Dze dairé : « Oui, oui et poui ! ».
Passe que d’après nauton vieux tcheuré y’étau taut foutu, « la vatse, le viâ et les six caupons de lait ». La borrique
tornaut le tchu u fouan. Lau monde étins depus en pus déssolus… Alors quand on en arrive là, il faut intervenir
vigoureusement…
Il faut sonner, sonner, et encore sonner.
Et finalement, se faire sonner les cloches un bon coup.
Et tout rentre dans l’ordre.
La preuve…
Vocabulaire de chez nous pour les jeunes générations
Les textes de Claude Chevreton sont très généralement appréciés, mais certains lecteurs, des « étrangers » et des jeunes, se
plaignent de ne pas tout comprendre. Il est vrai que le patois de chez nous n’était pas fait pour être écrit (le mérite de Claude
n’en est que plus grand) : les plus malins lisent à haute voix, et devinent alors le sens. Mais pour faciliter la tâche de tous et
conserver un patrimoine de mots, voici un petit lexique, établi au fil du texte.
Évanlieu : bouger, trembler.
Tsouzieu : réparer.
D’un–nâ : d’en haut.
Y’est pramau : c’est pourquoi.
Gueunaiyeu : secoué.
Fouidzieu : ce mot évoque le travail des cochons remuant du groin le sol.
Pou : peur.
Le bontin : l’été.
Une duquatre : quelques un(e)s.
Ébarmer : élaguer.
Suizons : haies.
Râzon : bordure de nuages.
S’abotsieu : se couvrir.
Bofer : Souffler.
Euraisse : coup de vent d’orage.
S’égrâdzer : s’éclaircir.
Y’a azu : Il y a eu.
Vreutàlé : véreux.